Gabriel brillait à l’école. Classé en première place, il donnait satisfaction à ses parents et à son maître, M. Bricot. Bien sûr, il se trompait parfois : une date lui échappait, il confondait deux villes et n’arrivait jamais à 42 quand 7 et 6 se multipliaient ; allez savoir pourquoi, il s’arrêtait à 40.
— Parce que c’est un chiffre rond, excusait sa maman.
Léon, le meilleur copain de Gabriel, était le contraire : il survolait les leçons, retenait une chose ou deux, jamais trois, et espérait que les questions tomberaient pile-poil dessus. Parfois il gagnait et recevait une note moyenne, souvent il tombait à côté et se ramassait une note catastrophique.
— Il n’arrivera jamais à rien ! tempêtait son père qui lui promettait un avenir sombre, sans étoiles.
M. Bricot était habitué : dans sa carrière de maître d’école, il en avait vu des génies et des cancres, il en connaissait qui avaient des enfants ou un travail absolument contraires : un bon élève s’ennuyait dans un métier idiot, un fanfaron tenait une boutique qui marchait du tonnerre de feu.
Ce lundi-là, M. Bricot annonça une étrange nouvelle à ses élèves :
— Jeudi, vous aurez un contrôle général, avec les questions en vrac, sur tout ce que vous avez appris depuis que vous venez à l’école… N’ayez pas peur, rassura le maître, il n’y aura pas de pièges : ceux qui ont l’habitude d’apprendre trouveront les réponses sans problème… son regard se posait sur Gabriel. Ceux qui mélangent leurs leçons ont jusqu’à jeudi pour réviser les tables, les règles de grammaire et se sortir du pétrin… il dévisageait Léon. Ce n’est pas moi qui vous corrigerai, mais monsieur l’Inspecteur d’académie. Les notes seront communiquées à vos parents qui devront les signer.
Rentré à la maison, Gabriel voulait tout réviser, en paroles et en musique : 1 fois 6, 6 ; 2 fois 6, 12, etc. Il buttait sur 7 fois 6, 40, car le résultat exact boitait. Ce qui faisait rire maman et papa :
— Tu oublies quelque chose !
Léon, pour sa part, n’avait rien dit à ses parents. Au lieu de jouer avec son chien, au lieu d’embêter sa sœur, il fouillait ses livres d’école en vrac, comme les questions du contrôle ; il cherchait les choses laissées de côté, et il en trouvait tant et tant qu’il se demandait par où commencer et où s’arrêter :
— Si je parais trop intelligent jeudi, on ne me croira pas… et après, je serai obligé de continuer de la même façon !
Mardi soir, les parents s’étonnèrent de voir leur garçon aussi sérieux, la tête dans les livres, avec autant de leçons d’un seul coup. Léon tenait à cacher ce qui l’attendait, et redoutait la signature des parents après la correction par l’Inspecteur. Rien que l’idée d’un inspecteur le jugeant lui faisait peur ; alors les notes livrées aux parents ! Il aurait préféré être dévoré par un monstre ou changé en crapaud par une sorcière.
Penser à ces sortilèges le fit songer à un magicien venant à son secours. Ah, s’il trouvait un lutin qui l’aiderait à apprendre ! Ou une fée qui changerait sa mauvaise mémoire en une excellente, pour retenir en un clic, comme les ordinateurs.
Mais voilà, ça existe dans les livres de gamins, pas dans les livres d’école ! se dit-il, à moins que…
Léon se rappela que le Nain rouge secourait les gens dans la panade : il sortait les pauvres de la misère, les pêcheurs en danger rentraient au port grâce à lui et bien d’autres prodiges. Il trouverait sûrement la solution à son problème : le contrôle général dans deux jours.
Léon pensa si fort au Nain rouge que celui-ci apparut dans la chambre :
— Je ne peux pas t’aider, toi seul ; ce serait de la triche et injuste pour tes copains.
— Tu n’as qu’à venir jeudi, au moment du contrôle général, on sera tous dans la classe !
M. Bricot distribua les questionnaires : l’affaire était sérieuse ;les interrogations sautaient du coq à l’âne, ou plutôt du français au calcul : quelle est la capitale de la France ? Comment écrit-on journal au pluriel ? Quel est le résultat de 6 x 7 ? j’en passe et des meilleures.
Le Nain rouge était fidèle au rendez-vous ; personne ne le voyait, surtout pas le maître d’école, mais les enfants l’entendaient au moment où ils lisaient les questions dans leur tête, il leur soufflait la réponse dans l’oreille et filait au suivant.
Deux semaines plus tard, M. Bricot reçut une grande enveloppe qui contenait autant de petites enveloppes que d’élèves, à rapporter le lendemain avec la signature des parents.
Gabriel était aux anges, papa et maman le félicitèrent pour ses notes meilleures qu’à l’ordinaire ; leur fiston avait bien répondu à presque toutes les questions, en français, en géographie, en calcul ; juste une petite faute de date, mais il avait donné Paris comme capitale de la France, journaux au pluriel et 42 à la fin de la terrible multiplication.
Léon avait plus de mal à expliquer comment il avait obtenu des points au-dessous du pire bulletin de notes. Où était-il allé chercher des journals ? Depuis quand Marseille gouvernait le pays ? Son père s’étranglait à chaque erreur, il était à deux doigts d’étouffer.
Léon avait oublié que le Nain rouge n’appréciait guère être dérangé sans raison valable ; il était venu aider les élèves qui méritaient un coup de pouce, leur donnant autant de bonnes réponses qu’ils n’en trouvaient eux-mêmes et ainsi doubler leur score. Tandis qu’avec Léon et les cancres de son espèce, il racontait n’importe quoi pour piéger leur paresse et leur sottise ; il livrait autant de mauvaises réponses que de fautes personnelles, il transformait les multiplications en additions, mettait le Nord au Sud et changeait les mots avec fantaisie. Les paresseux voyaient leur score divisé par deux.
Gabriel était récompensé de ses efforts, tandis que Léon apprenait qu’il ne pouvait pas réussir, en comptant seulement sur les autres.